La rage au volant
Illustration David Lambert, La Presse
Depuis plus de cinq ans, Jacques Bergeron utilise une série de questionnaires rigoureux pour sonder les mécanismes de la rage au volant, un comportement de plus en plus fréquent sur nos routes. «Notre quotidien est une véritable course folle, résume le psychologue et professeur. Cette pression constante intensifie nos interactions avec les autres usagers.»
Un conducteur tergiverse, nous talonne sans vergogne ou nous vole la place de stationnement qui nous revenait de droit? Il déclenche aussitôt une virulente réaction. Si tout le monde peut être victime de cette soudaine bouffée d'intolérance, certains conducteurs seraient plus susceptibles que d'autres. «Lors de nos simulations automobiles, nous provoquons une situation d'irritation, par exemple un conducteur qui nous ralentit en se stationnant en double ou qui freine au beau milieu de la rue pour faire descendre un passager, explique M. Bergeron. Nous ajoutons au stress en imposant une limite de temps pour effectuer le trajet. En général, les conducteurs qui répliquent fortement ont des personnalités narcissiques et impulsives. Leur réaction est si violente qu'ils klaxonnent et crient des noms en plein laboratoire!»
Selon le neuropsychologue Marc Perreault, le fait de vivre une émotion aussi intense n'est ni atypique ni anormal. En revanche, lorsque cette rage passe par les mailles du filtre cérébral, elle peut provoquer des comportements inadéquats. «Il est difficile de comprendre pourquoi, dans une situation jugée irritante, un conducteur peut perdre soudainement toutes ses inhibitions. Si une altercation similaire se produisait au bureau, par exemple, cette personne décanterait sans doute sa rage pour qu'elle soit plus socialement acceptable.»
Un peu comme un cocon protecteur, la voiture isole des regards externes. En attendant le feu vert, on chante sans pudeur, on se parle seul, on scrute notre reflet pour peaufiner notre toilette matinale... Des comportements intimes qu'on ne se permettrait jamais en public. «La voiture nous offre un environnement clos et familier, confirme Jacques Bergeron. Cette impression de protection ouvre la porte aux emportements furieux. Des études américaines démontrent même que les gens qui conduisent une voiture décapotable vont réagir beaucoup plus poliment que les autres aux irritants routiers.»
Lors des tests en laboratoire, le Dr Strayer et son équipe mesurent les battements cardiaques et la pression sanguine des volontaires pour mieux comprendre les situations qui provoquent des épisodes de rage au volant. «Les hommes sont généralement plus agressifs que les femmes. Nous ne savons pas encore pourquoi de tels comportements arrivent, mais nous soupçonnons une dépersonnalisation de l'autre conducteur. Ce dernier devient alors une entité abstraite.»
Julie Champagne | La Presse
Publié le 1 novembre 2012 | Mise à jour le 1 novembre 2012 à 12h04