Le contrebraquage en conduite motocycliste
Le contrebraquage en conduite motocycliste
Par Jean-Pierre Belmonte
Promocycle
Objectif
Observer les principales méthodes d’enseignement du contrebraquage en conduite motocyclette au Québec. Cette procédure étant enseignée aux candidats dans le but de leur apprendre une technique destinée à éviter un obstacle soudain. Analyser sommairement la situation et faire des recommandations s’il y a lieu.
Une opération aux dessous complexes
Un changement de direction pour une motocyclette implique plusieurs forces en interaction. Comme tout véhicule de type monovoie, une motocyclette doit obligatoirement être inclinée pour compenser l’inertie engendrée par un changement de direction. Il faut donc provoquer un basculement sur l’axe du roulis vers le côté où on veut aller en entreprenant le changement de direction. Ce basculement est principalement provoqué par un pivot momentané du guidon par le pilote dans la direction opposée à la direction d’intention.
Contrôler la moto par correction
À l’aide du guidon, le pilote contrôle l’emplacement de la partie inférieure de la moto, celle en contact avec le sol, par rapport à la localisation du centre de gravité lui-même.
Ce déplacement de la surface de contact du pneu à l’avant en mouvement constitue le facteur dominant dans le basculement de tout véhicule monovoie. Cette façon de contrôler la moto par correction entre en action dès que la motocyclette est en mouvement.
Un autre déplacement moins important est possible parce que la surface du pneu avant en contact avec le sol se retrouve à l’arrière de l’axe de direction.
Ce déport fait qu’une rotation du guidon, même quand la moto est à l’arrêt, entraîne un déplacement latérale de l’avant de la moto dans le même sens que la rotation du guidon. Ce type de déplacement est constant, donc indépendant de la vitesse. Il est largement utilisé par les trialistes pour faire du sur place. Il est dominant à très basses vitesses et travaille à l’opposé des deux premiers.
Provoquer un changement de direction
Pour provoquer un changement de direction, le pilote à l’aide du guidon élargit la trajectoire de la roue avant par le côté extérieur et opposé à la direction d’intention. Quand l’angle d’inclinaison approprié est atteint, le pilote oriente momentanément le guidon vers l’intérieur du virage avant de le neutraliser. VOIR TABLEAU 1.
Redresser une moto inclinée
Pour redresser une moto qui est inclinée alors qu’elle est en train d’effectuer un changement de direction, le pilote doit retrécir la trajectoire de la roue avant en orientant le guidon vers le côté intérieur du virage. Une fois l’angle d’inclinaison désiré (la verticale pour une trajectoire rectiligne) atteint, le pilote oriente momentanément le guidon vers l’extérieur du virage avant de le neutraliser.
Cette caractéristique spécifique au véhicule de type monovoie qui fait que l’impulsion initiale doit toujours être à l’opposé de la direction d’intention, sauf à très basse vitesse, est connue depuis longtemps. L’Américain Wilbur Wright (1871-1912), un des pionniers de l’aviation, avait déjà remarqué et décrit cette caractéristique de la direction d’un véhicule de type monovoie. VOIR TABLEAU 2.
Basculer en s’appuyant sur l’effet gyroscopique
La rotation des roues génère une quantité de mouvement angulaire. Ce moment d’inertie dépend de la masse, du diamètre et de la répartititon de la masse dans la roue. L’effet gyroscopique joue aussi un rôle dans le basculement d’une motocyclette. Quand un couple tente de modifier le plan de rotation, l’effet gyroscopique produit une rotation dont l’axe est perpendiculaire à l’axe du couple . En faisant pivoter le guidon vers la gauche, la moto à cause de l’effet gyroscopique de la roue avant voudra basculer sur la droite par rapport à l’axe de roulis. Pour les mêmes raisons, le fait de faire pivoter le guidon vers la droite entraînera un basculement vers la gauche.
Nous venons de traiter de deux méthodes pouvant faire changer de direction à une moto et dans les deux cas, l’impulsion initiale sur le guidon doit être dans le sens contraire de la direction d’intention. Heureusement les effets de ces deux méthodes travaillent en s’additionnant. Ils auraient pu s’opposer comme dans le cas hypothétique où ce serait la roue arrière qui pivoterait pour assurer la direction.
Définition du contrebraquage
Si contrebraquer en moto consiste à orienter, pendant un bref moment, la roue avant de la moto dans la direction opposée à celle où on désire aller, alors le contrebraquage est à la source de tout changement significatif de direction.
Il existe des véhicules de type monovoie tout à fait contrôlables qui ne disposent d’aucun bénéfice de l’effet
gyroscopique. (avec des patins, ou des skis, automobile sur deux roues, deux roues avec contre-roue.)
L’influence du déplacement du pilote
Le déplacement du pilote qui peut modifier l’emplacement de son corps ou d’une partie de son corps peut techniquement influencer un changement de direction sur une moto. Cette modification du centre de gravité moto-pilote n’a cependant qu’un effet limité. Si la direction de la moto n’était pas articulée (direction bloquée), il faudrait une distance considérable pour observer un petit changement de direction causé par un déplacement du corps du pilote.
L’influence d’un déplacement du corps du pilote quand la direction est libre, même si le pilote ne touche pas au guidon, aura plus d’effet que dans le premier cas. L’effet sur le centre de gravité sera le même, mais le couple générer par le déplacement du pilote fera pivoter le guidon libre à cause de sa géométrie dans le sens opposé à la direction d’intention déclenchant ainsi un contrebraquage.
Quand un pilote se penche vers l’intérieur du virage en gardant contact avec le guidon, il pousse souvent sans s’en rendre compte sur le guidon ce qui provoque un contrebraquage. Dans une telle situation il est souvent facile de surévaluer le rôle du déplacement du corps du pilote dans un changemnet de direction. VOIR TABLEAU 3.
La justesse du terme contrebraquage
Le terme contrebraquage est peut être mal choisi. Si en conduite automobile il décrit une procédure qui tend à rattrapper une situation de dérapage, en conduite moto il fait présentement allusion à une procédure d’amorce ou d’appel d’un changement de direction. Peut-être faudrait-il parler d’un braquage d’amorce ou d’un braquage d’appel.
Il est possible de piloter sécuritairement et longtemps une moto sans vraiment être conscient de cette caractéristique. Plusieurs motocyclistes qui n’ont pas été exposés à des cours de conduite récents effectuent cette opération avec succès et sans en être conscient, tout comme la plupart des cyclistes.
Cette procédure du contrebraquage est enseignée dans les cours de conduite comme une technique destinée à éviter un obstacle soudain. Souvent, l’élève découvre vraiment pour la première fois qu’il faut faire pivoter momentanément le guidon dans le sens contraire de la direction d’intention. Certains restent avec l’idée que cette caractéristique n’est valable que pour cette manoeuvre.
L’examen de la Société de l’assurance automobile (SAAQ) pour l’obtention d’un permis de conduire moto comporte une évaluation spécifique de cette manoeuvre.
L’épreuve du contrebraquage à l’examen
Lors de l’examen, le candidat doit éviter un obstacle d’une largeur de 3 mètres soit par la droite soit par la gauche en respectant l’indication d’un signal donné alors qu’il se trouve juste en-dessous de 10 mètres de l’obstacle virtuel.
Des 10 mètres dont il dispose, un motocycliste expert prendra 3.5 mètres pour la manoeuvre de changement de direction comme telle. Il en lui reste donc 6.5 mètres pour assimiler et décoder l’information (le sens de la flèche) et réagir au stimuli. Le candidat suite à une accélération peut se présenter à une vitesse située entre 20 km/h et 30 km/h à l’entrée de l’épreuve. Or s’il se présente à la vitesse minimum , il dispose de 1.2 seconde contre .8 seconde à 30 km/h puisque le déclenchement de la flèche n’est pas fonction de la vitesse d’entrée.
Parce que l’espace-temps décodage et l’espace-temps manoeuvre ne sont pas délimité dans l’épreuve, plusieurs candidats anticipent le stimuli et débutent la manoeuvre dès le passage des balises d’entrée. Chaque candidat possède une chance sur deux d’avoir anticipé la bonne direction.
Les résultats de nos tests
Dans une série de tests que nous avons effectués en utilisant le test et l’instrumentation de la SAAQ , un premier groupe de motocyclistes a performé moins bien au test après s’être fait expliquer la méthode classique du contrebraquage. Un troisième groupe qui a eu l’oppportunité de pratiquer la manoeuvre-test sans aucune recommandation ou théorie a vu sa deuxième évaluation moins performante. Seul le deuxième groupe qui avait reçu comme instruction de «projeter son torse vers la flèche en poussant» a affiché une augmentation de son niveau de réussite. VOIR TABLEAU DES RÉSULTATS.
Le problème du mauvais côté
Le problème ne semble pas venir de la manoeuvre elle même bien que le lien entre la rapidité du basculement et l’amplitude du mouvement du guidon ne semble pas assez exposé. On n’insiste pas assez sur le postulat que la force de la poussée est responsable de la rapidité de l’inclinaison et que la durée de la poussée est responsable du degré d’inclinaison. Mais la vraie difficulté repose plutôt sur le choix du côté.
Durant les tests, plusieurs motocyclistes tournaient tout simplement du mauvais côté. La possibilité de pouvoir anticiper le stimuli lors du test pourrait expliquer ce point. Mais plusieurs rapports exposent une quantité appréciable de situations de collisions où des témoins et des indices révèlent que le motocycliste s’est orienté vers l’obstacle au lieu de tenter de l’éviter. Comme le souligne la Motorcycle Safety Foundation dans son Guide Motorcycling Excellence, n’oublions pas que la majorité des motocyclistes sont aussi des automobilistes et qu’avec une automobile, pour aller à droite il faut tourner à droite, le contraire d’une moto. Et dans une situation de stress, il est facile de redevenir un débutant. Le besoin de développer chez les motocyclistes une méthode susceptible de développer et de maintenir un automatisme de changement de direction nous apparaît capital. La méthode actuellement enseignée du contrebraquage ne semble pas générer cet automatisme recherché.
À la recherche d’un automatisme
Selon Daniel Willingham, un psychologue de l’université de Virginie, il nous est possible d’apprendre d’une façon explicite quand la séquence d’une procédure nous est expliquée d’avance. Nous pouvons aussi apprendre la même procédure d’une façon implicite en expérimentant la procédure sans en connaître la séquence. Ces deux formes d’apprentissage sont séparées et font appel à des parties différentes du cerveau.
Willingham explique que quand nous apprenons à effectuer une série de geste pour la première fois, nous pensons à la séquence d’une façon très délibérée, d’une manière mécanique. Mais aussi tôt que nous commencons à devenir meilleur, l’implicite prend le dessus et nous devenons plus efficace sans même y penser. La partie du cerveau dans laquelle réside l’apprentissage implicite est préoccupée par la force et la synchronisation et quand ce système s’enclenche il est alors possible de développer précision et finesse. «C’est quelque chose qui arrive graduellement et à la fin vous n’êtes plus vraiment conscient de ce que vos mains font exactement».
Implicite contre explicite
Le problème vient du fait que sous des conditions de stress, il arrive que le système explicite prenne le contrôle sur le système implicite. C’est l’état d’une personne qui fige et que les Anglais appellent «choker». À ce moment précis, on redevient des débutants. Le stress a aussi tendance à effacer la mémoire à court terme.
On pourrait penser que pour un motocycliste qui amorce par habitude ces changements de direction d’une façon implicite, le fait de devoir désormais passer par une séquence explicite «pousser du côté ou on veut aller», ajoute une étape au processus de pensée et par le fait même une quantité de temps à l’opération.
Dead foot dead engine
Dans des moments de stress intenses des concepts aussi simples que la droite ou la gauche peuvent devenir difficiles à assimiler. Dans des situations d’urgence il est même préférable des les éviter. Dans le domaine de l’aviation, la perte d’un moteur sur un avion multi-moteur exige des opérations précises et rapides de la part du pilote. Il ne peut ignorer le moteur mort puisque ce dernier produit une traînée indue qui compromet la stabilité de l’avion. Il doit donc déterminer de quel côté se trouve le moteur mort, l’identifier et entamer les procédures visant à réduire la trainée. Sur un avion à hélice à pas variable la procédure se termine par la mise en drapeau. La palme de l’hélice devient perpendiculaire au flot de l’air afin de réduire au minimum la traînée. Cette procédure appliquée sur le mauvais moteur, c’est-à -dire sur un moteur en opération serait tout simplement catastrophique. Le manque de poussée du moteur en panne, fait que l’appareil a tendance à pivoter vers le moteur en panne. Le pilote pour garder son cap compense en agissant avec ses pieds sur le palonnier contrôlant le gouvernail de direction. Pour identifier le côté où se trouve le moteur en panne, le pilote fait appel à la phrase «Dead foot, dead engine».
Recommendations
Nous recommandons la mise au point d’un automatisme basé sur une phrase ou un slogan de quelques mots qui rappellera et identifiera les étapes à suivre. Cet automatisme devra faire référence à la vision, l’action particulière sur le guidon et l’action globale . Des mots clés sur lesquels il sera possible de s’appuyer pour décomposer et recomposer les étapess de la manoeuvre d’évitement. Des mots et des procédures qui pourront être répétés jusqu’à ce que ça devienne un automatisme.
Au niveau de l’évaluation (du test), nous recommandons de séparer l’espace-temps du décodage du stimuli de celui de la manoeuvre pour empêcher toute forme d’anticipation. Nous recommandons que le test se fasse au moins deux fois pour chaque candidat (principe du deux dans trois)
Pour le stimuli, nous recommandons que ce dernier soit négatif, c’est-à -dire qu’il symbolise quelque chose à éviter plutôt que d’indiquer la direction à emprunter. Il devrait être placé à une hauteur à être déterminée et non au sol, de plus il devrait être synchronisé en fonction de la vitesse d’entrée qui devrait être d’au moins 25 km/h. La distance d’approche devrait assez longue pour permettre au candidat de stabiliser sa vitesse.