Encore une fois, les statistiques nous rappellent à l’ordre. Près de 35% des accidents de moto n’impliquent aucun autre véhicule. Et dans les deux-tiers des cas, ils résultent d’une erreur de pilotage de la part du motocycliste. L’erreur typique restant un dérapage ou une chute à la suite d’un surfreinage de la roue arrière ou d’une sortie de virage résultant d’une vitesse d’entrée en courbe trop rapide ou de l’incapacité du pilote à tourner adéquatement (sous-virage). Inattention et inexpérience constituent un coktail explosif. Mauvaise appréciation de la vitesse, de l’adhérence ou de l’angle du virage, angulation insuffisante, ajustement inadéquat des freins ou des suspensions, autant d’excuses qui démontrent un manque flagrant d’expérience et une absence de formation aux techniques de conduite avancée. En effet, les cours de base prodigués aux néo-motocyclistes, bien qu’indispensables et nécessaires, ne suffisent pas. Ils sont conçus pour procurer aux élèves l’expérience et la maîtrise de base. Tout comme il faut d’abord apprendre à lire et à écrire à l’école primaire puis aller à l’université avant d’espérer décrocher un prix Nobel de littérature. Les cours de conduite avancée ou sportive s’adressent à des motocyclistes possédant déjà une solide expérience. Et les techniques qu’on y enseigne, pour être efficaces, doivent être pratiquées à haute vitesse. Il n’est nul besoin de vouloir devenir champion du monde de Grand Prix pour s’inscrire à un de ces cours. Pas plus qu’il ne faut posséder une moto sportive. Tout pilote désireux de se perfectionner en tirera des bénéfices immédiats, et ce, quel que soit le type de moto qu’il conduit. Voici quelques conclusions du rapport Hurt (une enquête américaine publiée au début des années 80), trièes sur le volet, qui démontrent l’importance jouée par l’inexpérience et le manque de formation spécifique; - les jeunes motocyclistes sont sur-représentés dans les accidents;
- plus les motocyclistes sont jeunes, plus le risque d’accident avec dommages corporels est élevé;
- plus de la moitié des motocyclistes impliqués dans un accident possèdent moins de cinq mois d’expérience sur la moto avec laquelle ils ont eu leur accident, bien que leur expérience de conduite soit de près de trois ans;
- l’ensemble des motocyclistes impliqués dans des accidents semble démontrer des carences de pilotage importantes. La plupart freinent de façon exagérée de la roue arrière, ce qui provoque invariablement un dérapage, et ne freinent pas assez fort de la roue avant. Leur abileté à esquiver ou à contrebraquer est souvent déficiente;
- dans un accident typique, le motocycliste dispose de moins de deux secondes pour réagir, d’où l’importance des automatismes acquis;
- les motocyclistes ayant une expérience de conduite hors-route sont sous-représentés dans les accidents de la route;
- les motocyclistes ayant récemment reçu des contraventions ou ayant été impliqués dans des accidents sont sur-représentés dans les accidents de la route;
- entre 25% et 30% des motocyclistes impliqués dans un accident grave ou mortel n’avaient pas de permis moto.
La conduite d’une moto fait appel à des techniques avancées et demande, de la part du pilote, plus de compétence et d’expérience que la conduite de la plupart des autres véhicules. On ne le rappelera jamais assez! Anatomie d’un virage La négociation d’un virage résulte d’une série d’actions: observation de la route, identification et prédiction des problèmes potentiels, prise de décisions et exécution de la manÅ“uvre. Laquelle s’effectue en trois temps distincts: décélération (en ligne droite), angulation (à vitesse constante) et accélération (en sortie de virage). Comme dans le cas du freinage, le motocycliste est tributaire des lois immuables de la physique et doit gérer un certain montant d’adhérence. Il incombe au pilote de la maîtriser adéquatement en fonction des divers facteurs d’influence (composition du pneu, température du pneu, usure du pneu, dessin de la semelle, état de la chaussée, surface de contact, etc.). Sans compter l’action des forces composées. Pour comprendre comment réagit une moto en virage, il faut savoir qu’elle est influencée par deux forces: une perpendiculaire à la surface de la route (le poids) et une parallèle (la force centrifuge). Celles-ci agissent sur le centre de gravité de la moto (son point d’équilibre dans l’espace). La force centrifuge a pour effet de pousser la moto vers l’extérieur du virage. On la combat en inclinant la moto vers l’intérieur du virage ou en créant un devers extérieur dans le virage (sa partie extérieure est plus haute que sa partie intérieure). Plus la vitesse est élevée, plus l’inclinaison nécessaire pour contrer la force centrifuge sera élevée. Le poids ne variant pas en virage, la traction sera donc identique à ce qu’elle serait en ligne droite, dans les mêmes conditions (vitesse, adhérence). Contrairement à la croyance populaire, une moto n’a pas moins de traction parce qu’elle est penchée. À l’arrêt, le poids est distribué à peu près également sur chaque pneu. La vitesse entraîne un transfert du poids vers le pneu arrière de façon proportionnelle à l’accélération (le cabrage de la roue avant ou «wheelie» est l’expression extrême de ce phénomène). Il n’y a pas variation du poids mais redistribution de celui-ci. L’inverse se produit en décélération. D’où la nécessité de ralentir avant le virage de façon à effectuer un transfert de masse vers la roue avant afin d’augmenter son adhérence. Le contrebraquage Le contrebraquage est la principale technique de maintien de l’équilibre d’une moto et de contrôle de son inclinaison. Pour comprendre comment cette technique s’applique, il faut répondre à une question fondamentale: «qu’est-ce qui fait qu’une moto tourne?» En fait, les seuls facteurs sur lesquels le pilote peut intervenir sont le transfert de son poids et le changement de direction, à l’aide du guidon. Si vous roulez en ligne droite, à vitesse constante, et que vous inclinez votre corps vers la gauche ou la droite de la moto, celle-ci amorcera lentement un virage, sans que vous ayez à tourner le guidon. Mais cela ne suffit pas à faire tourner une moto à haute vitesse. Il faut également donner une certaine direction à la moto, avec le guidon. La technique du contrebraquage consiste à «pousser» le guidon dans la direction dans laquelle vous voulez tourner (et non à «tirer» dans le sens inverse du virage, comme le pensent beaucoup d’entre nous). Plus on pousse sur le guidon, plus on prend de l’angle. Cette technique est d’autant plus efficace qu’il est plus précis et facile de contrebraquer que de pencher tout son corps dans la mesure où on utilise seulement les petits muscles du bras et de la main pour ce faire. Une utilisation délibérée et consciente de cette technique demande une certaine expérience (n’hésitez pas à pratiquer à basse vitesse dans un parking désert). Mais une fois que vous l’aurez parfaitement maîtrisée, vous vous sentirez en complet contrôle et pourrez effectuer des virages parfaits, quelle que soit la vitesse. Maîtriser les virages Le virage est un des éléments qui rend la pratique de la moto si agréable. Le fait de décrire une trajectoire parfaite, à la vitesse idéale, de sentir la traction vous guidez là où vous avez choisi d’aller, est un défi que nombre d’entre nous se plaisent à relever. Combien de fois avez vous quitté la rectitude ennuyeuse des autoroutes à la recherche de la route de campagne idéale, sinueuse à souhait? La technique du virage est identique, quels que soient le type de route, de moto ou de pilote. Il faut ralentir, regarder, pencher et accélérer. Rien de plus. Bien sûr, les situations changent et c’est là que le défi d’appliquer ces quatre éléments de la bonne façon et au bon moment entre en jeu. La première chose à faire est d’observer la route devant vous, le plus loin possible, de choisir une trajectoire en fonction du virage qui se présente (virage serré, long virage rapide, virage en devers, etc.), de l’adhérence (gravier, eau, nid-de-poule, etc.) et de la présence d’autres usagers. Voyez-vous la sortie du virage? Votre vision est-elle restreinte (virage aveugle, brouillard, pluie, obscurité)? Cette évaluation complète doit se faire en un laps de temps très court. De son acuité dépend la réussite de la manÅ“uvre. Plus vite vous aurez détecté un problème potentiel, plus vous aurez de temps pour y réagir. Quand vous conduisez, vous devez, en tout temps, effectuer une lecture anticipée de la route avec un délai de 12 secondes d’avance. Et être prêt à faire face au scénario catastrophe. C’est-à -dire prévoir le pire et identifier la riposte à apporter. Maintenant que vous avez ralenti et évalué le virage, il faut commencer à pencher. Et penser à la sortie du virage. Vous devez savoir, avant d’entamer le virage, où et comment s’effectuera la sortie. Si vous ne la voyez pas, il vaut mieux ralentir trop que pas assez et rester «large», c’est-à -dire le plus possible à l’extérieur du virage, quitte à resserrer la trajectoire une fois la sortie en vue. Le but est de maximiser l’adhérence tout en restant en contrôle de votre moto. À vitesse constante, un virage large demande moins de force et d’inclinaison qu’un virage serré. En choisissant une trajectoire qui met à profit toute la largeur disponible de la voie dans laquelle vous vous trouvez, vous maximisez l’angle du virage, vous l’élargissez et disposez ainsi d’une meilleure adhérence et d’une plus grande garde au sol. À l’endroit où vous amorcez le virage, vous devez vous tenir le plus près possible de la limite extérieure de votre voie, même chose en sortie de virage. Et «plonger» au point de corde (apex, en anglais) à l’endroit le plus près de l’intérieur du virage. La bonne détermination du point de corde garantit l’efficacité et la douceur de votre virage. Quand vous négociez un virage, la vitesse évolue également en trois phases: la vitesse d’approche (que vous déterminez en fonction de l’environnement), la vitesse d’entrée (que vous devez avoir atteinte au moment de commencer à pencher) et la vitesse de sortie (qui dépend beaucoup des deux premières et de la trajectoire que vous avez choisie). Une fois que vous êtes incliné dans le virage, votre vitesse doit demeurer constante. Si vous ralentissez ou freinez alors que vous êtes sur l’angle, un transfert de masse s’effectuera sur le pneu avant et pourra produire une dérobade de l’avant ou redresser la moto (tout droit garanti).Si vous accélérez dans le virage, le transfert de masse se fera sur le pneu arrière jusqu’à induire un dérapage. Dans les deux cas, c’est la chute assurée. En cas de variation de la vitesse durant l’inclinaison, les suspensions risquent de se détendre ou de se contracter, créant des oscillations, ce qui influencera la garde au sol et la géométrie de votre moto. La réduction de la garde au sol limite l’angle d’inclinaison et l’adhérence et, à l’extrême, amène des pièces de votre moto (reposes-pieds, échappement, etc.) en contact avec la chaussée. Ce qui déséquilibrera la moto et pourra causer une chute. Mieux vaut prévenir que guérir… À moto, expérience, attention et conduite préventive sont la clé du succès. Étant donné le peu de temps dont dispose le pilote pour réagir, dans la plupart des situations routières, l’idéal est d’acquérir des automatismes de conduite, lesquels permettent, en cas d’urgence, de consacrer son attention à la prise de décision et non à la mise en Å“uvre de techniques de conduite. Le pilote peut ainsi analyser les situations les plus diverses et mettre à profit les techniques apprises ou acquises au gré de son expérience. Les virages sont un des plaisirs de la moto. Il serait dommage de gâcher de telles occasions par inexpérience ou par méconnaissance des techniques à appliquer ou des actions à prendre. |